Pureté de la race, races pures… Petite lecture de ces notions appliquées à l’Akhal-Téké
Depuis bien longtemps déjà, je m'interroge sur une contradiction étrange
de notre époque, qui peut sembler un détail sans importance, mais pourrait bien
cacher au fond un problème d'éthique beaucoup plus sérieux qu'il n'y
paraît : alors qu'il semble normal pour tous les éleveurs, de chevaux, de
chiens, de chats et que sais-je, d'admettre l'existence de races différentes au
sein d'une même espèce, le même concept de race paraît impensable et
indicible pour l'espèce humaine, à moins qu'on accepte d'être dans le camp des
méchants « racistes ». Je me souviens qu'en classe de première, mon
professeur d'Histoire qualifiait la notion de race d'absurdité
scientifique. Que faut-il en conclure ? Que les éleveurs d'animaux
domestiques sont des idiots ? Qu'il existe une différence conceptuelle
sous un mot unique ? ou qu'en tout, comme le voulait Jean d'Orgeix,
« il faut raison garder » et que la vérité se situe quelque part dans
le non-dit, parce que, comme dit l'autre, « toute la dire, on y arriverait
pas ». En tant que passionnée de Pur-Sang en général et d'Akhal-Téké en particulier,
j'ai été plus surprise encore de voir que bon nombre de personnes ne prennent
pas l'adjectif « pur » en un sens métaphorique, mais au pied de la
lettre, comme s'il existait des races de chevaux plus « pures » que
d'autres, c'est-à-dire moins mélangées, moins métissées, plus authentiques. Et
chacun de revendiquer la pureté de telle ou telle race de chevaux, la sienne
bien sûr ! Les éleveurs d'Akhal-Tékés ne sont pas les moins enthousiastes
sur ce sujet. Au point que le registre français de l'Akhal-Téké s'appelle
« Akhal-Téké de Pur-Sang », petite défaite sans doute d'ailleurs de
ceux qui l'ont promu et qui, on l'imagine, eussent préféré, « Pur-Sang
Akhal-Téké ». Brève histoire de la notion de race La notion de « race » est en elle-même difficile à cerner.
Alors que l'espèce constitue seule la barrière pour ce qui est de la
reproduction (aujourd'hui allègrement franchie par les manipulations
génétiques), la race, subdivision d'une espèce zoologique, n'interdit en rien
le métissage et ne peut finalement être garantie que par la pérennité des
conditions de vie et d'utilisation du cheval. Races et studbook : « la nature est une autre culture »
(Pascal) En ce qui concerne les chevaux, rappelons que nous devons l'invention
des stud-books aux Anglais qui, au XIXe siècle, ont eu l'excellente idée
d'enregistrer dans des livres : books, les informations relatives à
l'élevage : stud, d'où le terme stud-book, passé dans la
plupart des langues pour désigner les registres où l'on enregistrait les
naissances, en fonction des races notamment. Il existe aujourd'hui deux types de stud-books : les stud-books
dits « ouverts » et les studbooks dits « fermés ». Dans le
cas d'un studbook ouvert, un cheval fait partie de la race même avec un certain
pourcentage de sang d'une autre race (pourcentage variable selon les
stud-books). Les stud-books fermés, au contraire, fonctionnent à partir un
« stock » de départ. Seule la descendance de ce stock de départ
appartient à la race. Tout croisement fait sortir le produit de la race du
stud-book fermé. C'est le cas, par exemple, du stud-book Pur-sang Anglais. La révolution génétique
Race, génotype, phénotype et
environnement Le développement incroyable de la génétique dans les dernières décennies
a abouti à plusieurs découvertes fondamentales : l'existence d'un génome
constitué d'un ensemble de gènes, qui constitue le grand livre de la vie de
chaque individu et garantit la pérennité de certaines caractéristiques de
l'individu lors de la reproduction. Cet ensemble de gènes varie d'un individu à l'autre, mais on retrouve
dans le génome des dénominateurs communs qui rejoignent les observations et
classifications empiriques en classe, ordre, espèce, et … race. Voilà qui
ennuie passablement les défenseurs d'un humanisme ethnique et culturel plutôt
que biologique, qui espéraient s'être débarrassés de l'ombre maudite du comte
de Gobineau et de sa théorie de l'inégalité des races. Fin 2007, le généticien
James Watson, Prix Nobel en 1962 pour avoir co-découvert la double structure en
hélice de l'ADN, faisait scandale en tenant publiquement des propos racistes.
Il soutenait entre autres propos sulfureux qu'il existait des différences dans
les capacités intellectuelles des Occidentaux Blancs et des Africains Noirs et
que les gènes responsables de ces différences seraient isolés avant 15 ans.
Début 2008, le biologiste moléculaire Bertrand Jordan revient sur ce sujet dans
un livre intitulé L'Humanité au pluriel. La génétique et la question des
races. L'impossibilité de parler de race en ce qui concerne les humains tient,
on le comprend aisément, au risque de glissement évaluatif qu'il entraîne.
Plutôt que de donner la vision d'une humanité riche parce que plurielle, la
notion de race invite à l'évaluation : laquelle des deux sera la
meilleure ? La meilleure pour quoi ? C'est déjà moins clair…
Peut-être pour dominer l'autre, guère plus. Dans le petit monde du cheval, on retrouve le même problème, exhibé
cette fois-ci dans l'adjectif pur. L'adjectif désigne normalement « ce
qui n'est pas mélangé » mais s'applique dans ce cas bien mal au fameux
Pur-Sang, melting pot de tout ce qui court le plus vite possible sur quatre
sabots, et magnifique opération commerciale anglaise du dix-neuvième siècle.
Car le champ connotatif du mot pur est extrêmement valorisant et renvoie
à un idéal d'incorruptibilité et d'excellence, peut-être en français par
parenté phonique avec le superlatif plus. Impliquant un mythe
rousseauiste des origines merveilleuses, l'adjectif pur est sans doute
la plus grande trouvaille marketting des éleveurs de chevaux. Cette pureté
diamantine présuppose élégance et beauté, force et vitesse, elle suggère la
magnificence, au point que certaines races ont été récemment rebaptisées
de ce caractérisant extrêmement positif, comme le bel Andalou devenu
soudainement Pur Race Espagnole. Le mot pur est donc bien l'exhibition
de l'idée d'inégalité des races et même de celle, plus dangereuse encore, de
race supérieure, ce qui n'étonne guère, puisque l'invention remonte au XIXe
siècle, époque où ces deux notions : « pureté » et
« race » s'appliquent aussi aux êtres humains, ce qui, depuis, a eu
les conséquences gravissimes que l'on connaît, et trahit évidemment la grande
tendance du XIXe siècle à l'eugénisme, extrêmement rentable économiquement
parlant, puisqu'il justifie l'exploitation de certaines races par certaines
autres… On comprend que tout cela, appliqué aux humains, fasse peur et que
certaines bonnes volontés aient voulu en finir avec la notion de race, en la
niant purement et simplement. Mais la réalité biologique ne se laisse pas si aisément réduire, et
reparaît dès qu'il s'agit des animaux. Il paraît un peu ridicule de nier
m'existence de différences aussi visibles à l'œil que le poids et la taille
(500kg pour un cheval de selle, 1 tonne pour un cheval de trait, 80 cm pour un
shetland, 2 mètres pour un Shire). Une race, comme sous-espèce, se définit par deux choses : le
génotype et le phénotype. Le génotype est la carte ADN transmise lors de la
reproduction par les deux parents à part égale. Le phénotype est l'ensemble des
caractéristiques morphologiques et comportementales du sujet. Les généticiens constatent que certaines caractéristiques du phénotype
sont largement transmises directement par le patrimoine génétique alors que
d'autres subissent plutôt l'influence de l'environnement. Par exemple, leurs
études montrent que, chez les humains, le génotype constitue 27% du phénotype
pour ce qui concerne le poids mais 60% pour ce qui concerne la taille. C'est
l'environnement : climat, relief, alimentation… qui détermine le reste de
la variation. On sait depuis Darwin que la vie s'adapte par sélection au milieu
naturel, ce qui justement crée les races d'une même espèce dans un milieu
donné. Mais on sait aussi qu'en sélectionnant sur un critère précis (la
quantité de lait d'une vache par exemple), on peut infléchir la nature dans une
direction ou une autre. L'adaptation au milieu naturel, comme la sélection, sont des processus
lents mais on peut dans certains cas, avec une sélection rigoureuse, modifier
le phénotype de 10% par an ! Ce qui est valable pour les vaches et les hommes l'est aussi pour les
chevaux. Il y a de fortes chances que des chevaux de telle race, transplantés
dans un milieu très différent de celui de leurs origines, ne changent
passablement d'aspect (ce fut d'ailleurs très vite le cas des Percherons
exportés au Japon !). La sélection par l'homme, en ce qui concerne les
chevaux, a longtemps été limitée à une région ou un pays. Chacun a tiré le
cheval vers des qualités qui lui étaient immédiatement utiles : vitesse,
endurance, traction, masse de viande aussi, aptitude à sauter haut, aptitude à
accomplir certaines figures (pour la guerre ou l'élégance), beauté… Une « race » de chevaux est donc la combinaison d'un
environnement (la Normandie ne produit pas les mêmes chevaux que le
désert !) et d'une sélection pour tel ou tel usage. Le système des
stud-books est un savant mélange de sélection humaine et de différences
naturelles. La « pureté » de la race est une hérésie, pour les chevaux
comme pour les hommes. Le cheval le plus pur est celui qui serait resté dans
son environnement sans bouger et hors de tout contact avec l'extérieur, voire
avec l'homme. Un tel cheval, on le sait, a disparu, et même le Prejvalski ne peut
plus revendiquer cette pureté car les seuls specimens qui ont survécu ont été
en contact avec l'homme et loin de leur milieu d'origine… À la rigueur, on peut
admettre que des chevaux insulaires, comme le cheval islandais, aient une
certaine pureté, puisque les Islandais ont décidé d'interdire tout contact
entre les chevaux d'Islande et les autres chevaux. Ce petit cheval a pu ainsi
développer ses propres caractéristiques, et devenir assez différent de ses
compagnons continentaux. Mais le mot « pur » tel qu'il est appliqué au Pur-Sang
Anglais, Arabe ou à l'Akhal-Téké n'est qu'une tentative de fixer une hégémonie
fort suspecte idéologiquement en hiérarchisant les races de chevaux les unes
par rapport aux autres, comme on l'a fait, en ce même XIXe siècle, avec les
hommes, les uns supérieurs et les autres inférieurs. Ne soyons donc pas trop
pressé d'être « puriste ». Le Horse Genome Project et la question des races Le Horse Genome Project est un effort de coopération
internationale de plus de 100 chercheurs de 20 pays pour définir le génome, la
séquence ADN des chevaux domestiques. Avec ce savoir, les chercheurs peuvent
commencer à comprendre les aspects génétiques de la physiologie équine et de
ses maladies. Ces outils génétiques ont pour but premier d'aider les chercheurs
à trouver de nouvelles thérapies et de nouveaux traitements pour des affections
telles que laminitis, maladies respiratoires, etc. Les scientifiques prennent la peine de rassurer les gens de chevaux qui
pourraient « s'inquiéter qu'une fois le génome séquencé, tous les mystères
et toute la magie disparaisse de l'élevage équin : les caractères haut en
couleur autour de la piste remplacés par de froids scientifiques avec des
ordinateurs et des éprouvettes. Loin de là. L'étude du génome équin ressemble
plus à l'étude météorologique qu'à l'invention d'une voiture de sport. » Voilà qui est effectivement rassurant. Mais alors, pourquoi un tel
acharnement à prélever le sang de nos chevaux pour établir leur carte Adn
(opération appelée génotypage et qui tend à devenir obligatoire en France et
dans beaucoup d'autres pays). Ce génotypage est-il une garantie de race ?
C'est ce que je me suis demandé en voyant Tatiana Riabova, qui dirige d'une
main de fer le stud-book russe du cheval Akhal-Téké, rappelant sans relâche de
manière assez grossière que les chevaux Akhal-Tékés du Turkménistan n'étaient
pas génotypés. Je me suis demandé si l'ADN permettait réellement de dire qu'un cheval
appartenait à telle ou telle race, outre le fait qu'il permet évidemment de
garantir qui sont les parents du cheval, à condition évidemment que ceux-ci
soient également génotypés. J'ai donc posé la question suivante à Ernie Bailey,
Professeur au Département de science vétérinaire de l'Université du
Kentucky : Dear doctor, I would love to anderstand something about the difference between the
different breeds. How many genes make this difference? Could we built a
studbook on the base of the genetic sequence or is it a myth? It seems easy to
make a close studbook on the base of parentage and filiation but is it possible
to consider that all the horses with a certain model of DNA type are from the
same breed. What is the limit between breeds variation and individual
variation. Cher Docteur, J'aimerais comprendre quelque chose en ce qui concerne la différence
entre les races. Combien de gènes créent cette différence ? Serait-il
possible de construire un studbook sur la base d'une séquence génétique ou
est-ce un mythe ? Il semble aisé de faire un studbook fermé sur le
principe de la filiation mais est-il possible de considérer que les chevaux
possédant un certain patron ADN sont de la même espèce ? Quelle est la
limite entre des variations de races et des variations individuelles ? Voici la réponse : Hi, Thanks for your question. It was well presented. When I think about breeds I think of people selecting horses and making
choices based on their visions and their objectives. Differences in DNA
profiles between horses reflect those choices. DNA profiles are similar
among horses within a breed because the horses are related, descended from
foundation stock. And of course selection... but both are true. Some people, especially Knut Roed from Norway, have used DNA tests to
compare horse breeds. He uses 20-40 genetic markers called microsatellite
DNA markers to compare horses. He can always tell when horses belong to
distantly related breeds... Arabian horses versus Percheron draft horses.
But comparing horses from closely related breeds will not allow 100% accuracy
in making distinctions. Of course, as we test more markers and more
horses the test will become more accurate. But realize, this application is backward! Breeds are determined
by the choices of breeders based on function of the horse. The following is the
crux of the matter... There may be 5 different genetic ways to get a horse to
perform the way the breeder wants. All 5 genetic combinations may be part of
the breed heritage and genetic composition. If you define the breed on the
basis of a single DNA type, you will deny the validity of four possibilities! The consequence of breed formation is reduced genetic variation among
members of the breed. We want to use DNA studies to understand the differences
and similarities among horses... not create them. This is the actual goal
of Knut and others working on horse genomics. Does that help? Best wishes. Ernie Bailey Bonjour, Merci pour votre question bien posée. Quand je pense races, je pense à des gens sélectionnant des chevaux et
faisant des choix basés sur leur vision et leurs objectifs. Les différences
dans les profils ADN des chevaux reflètent ces choix. Les profils ADN sont
similaires entre chevaux d'une même race parce que les chevaux sont parents et
descendent d'un stock fondateur. Et bien sûr à cause de la sélection… les deux
sont vrais. Quelques personnes, particulièrement Knut Roed de Norvège, ont utilisé
les tests ADN pour comparer les races. Il a utilisé de 20 à 40 marqueurs
génétiques appelés marqueurs ADN microsatellites pour comparer les chevaux. Il
peut toujours dire si des chevaux appartiennent à des races très différentes…
Chevaux arabes par opposition au Percheron par exemple… Mais comparant des
chevaux de races proches ne donnera pas un résultat à 100%. Bien sûr si l'on
teste plus de marqueurs, et plus de chevaux, cela deviendra plus précis. Mais réalisez que cette application est de l'après-coup ! Les races
sont déterminées par les choix des éleveurs basés sur les fonctions du cheval.
La suite est cruciale… Il peut y avoir 5 façons différentes, génétiquement
parlant, d'amener un cheval à la performance désirée par l'éleveur. Les 5
combinaisons génétiques peuvent être part de l'héritage de la race et de la
composition génétique. Si on définit la race sur la base du type ADN seulement,
on perd 4 possibilités d'améliorer la performance. La conséquence dans la formation de la race est de réduire la variation
génétique de ses membres. Nous voulons utiliser les études génétiques pour
comprendre les différences et les similitudes entre chevaux, pas pour les
créer. Telle est la position des chercheurs du Horse Genome Project. Bien à
vous. Ernie Bailey) Il me semble que les explications de Ernie Bailey devraient mettre un
terme au délire de certains éleveurs peu cultivés qui cherchent bêtement une
hypothétique pureté de la race qui, évidemment, n'existe pas. Ces explications
devraient aussi nous aider à comprendre que le principe d'un stud-book fermé
lorsqu'il s'agit une race menacée d'extinction est parfaitement irresponsable
et dangereux. À ce sujet, Monsieur Guérin, membre de l'INRA et personnage
important du Horse Genome Project, m'écrit ceci : « Un des
arguments biologiques pouvant être opposé à la notion de Stud-Book fermé
est que le très faible effectif d'une race augmente fortement le taux de
consanguinité et fasse apparaître des tares génétiques menaçant la race
elle-même. Des études de variabilité intra- et inter-races sont alors
nécessaires pour étayer des prises de décisions. Les moyens moléculaires
actuels sont disponibles pour envisager ce genre d'étude. » Dans tous les cas, et c'est ce que font les stud-books les plus prisés
aujourd'hui en terme de performance : Holsteiner, Selle Français…, la
sélection sur des critères objectifs de performances et morphologie devrait
toujours primer sur une imaginaire pureté de la race. Quid de l'Akhal-Téké ? Comme son nom l'indique, l'Akhal-Téké s'est développé dans l'oasis de
l'Akhal, située aux marges du désert du Karakum. Depuis des millénaires, les
chevaux de cette région ont été sélectionnés pour leur vitesse, leur endurance,
leur taille, leur docilité, leur magnabilité et secondairement leur beauté. Les
guerriers nomades ont préféré des chevaux au port de tête très haut, ce qui
n'était peut-être qu'une armure de plus (mais ce n'est qu'une hypothèse, qui
m'est venue lorsqu'un vieux Turkmène, me parlant d'un cheval fameux, m'a
dit : « on ne voyait pas son cavalier derrière lui tant il avait la
tête haute »). Ces nomades vivaient avec leurs chevaux, ce qui explique
sans aucun doute l'incroyable proximité de ces chevaux avec l'homme. Ils ont
voulu des chevaux intelligents parce qu'ils étaient aussi des compagnons
d'arme. Lorsque les Russes ont envahi ce qui est aujourd'hui le Turkménistan,
ils ont vite reconnu et/ou craint la qualité de ces chevaux. Les stud-books de
races se créaient partout en Europe et les Russes ont suivi ce mouvement dont
le but était de conserver le type d'origine. Par la suite, les éleveurs les
plus éclairés ont vite compris l'importance de sélectionner sur la pérennité du
phénotype. Néanmoins, d'autres éleveurs ont adapté leurs chevaux à de nouveaux
besoins et, avec la disparition des besoins militaires, se sont orientés vers
l'activité de loisir et de pompe que constituent les courses, y compris par
l'introduction de reproducteurs Pur-Sang dans les années 1930. Aujourd'hui, le
show ayant une certaine aura, on sélectionne aussi beaucoup sur la beauté, qui
varie d'une race à l'autre, et qu'on appelle « type ». Cependant, il
faut remarquer qu'il y a peu de Pur-sang Arabe à profil d'hippocampe dans le
désert égyptien ! Ce que certains éleveurs appellent le « type »
ressort d'un aspect du phénotype qui s'écarte de la norme. On accentue ainsi un
accident naturel pour en faire un signe distinctif. Je n'ai rien contre. Au
contraire. J'aime que mon cheval ne soit pas celui du voisin et j'aime qu'on le
remarque. Mais je pense aussi comme les Arabes qu'il faut d'abord se préoccuper
d'avoir un bon cheval et qu'un bon cheval est celui qui est capable de faire ce
à quoi je le destine. Pour moi, un bon Akhal-Téké sera celui qui pourra
m'emmener très loin le plus vite possible. Sa beauté est le résultat de ses
qualités physiques et comportementales et non l'inverse. Le stud-book de l'Akhal-Téké est aujourd'hui « fermé », ce qui
n'a pas toujours été le cas, puisqu'on retrouve, par exemple, des Pur-Sang
Anglais dans les ancêtres de beaucoup d'Akhal-Tékés. À l'époque, le fait d'être
pour l'essentiel originaire du Turkménistan suffisait pour être considéré comme
Akhal-Téké. Arab, fondateur d'une grande lignée, avait une mère d'origine mal
connue (ses papiers laissent apparaître seulement « mère Akhal-Téké), ce
qui explique peut-être le gabarit très fort de ce cheval, dont la descendance
n'est pas moins méritoire pour autant. Il me semble qu'il est à la fois bon et mauvais que le stud-book soit
fermé. On peut penser que c'est le meilleur moyen de conserver les
caractéristiques de la race. Pourtant, en observant des demi-sangs, il m'a
semblé qu'ils avaient souvent beaucoup de « type », ce qui laisse à penser
que le phénotype se transmet parfois de manière très mystérieuse. La fermeture
complète du stud-book pose aussi le problème de l'éviction de chevaux turkmènes
de grande qualité qui ont échappé au contrôle de la Russie : chevaux de
l'Akhal en premier lieu, qui n'ont pas été génotypés au moment où le stud-book
russe a commencé à systématiser les contrôles de filiation ADN, chevaux d'Iran
et d'Afghanistan, élevés par des Turkmènes exilés au moment de l'invasion
russe. La sélection sur des critères objectifs de qualité : performances,
morphologie, devrait primer très grandement sur des critères étroits de
filiation. Pire encore, le stud-book est organisé de telle manière que, dans la
notation actuelle, les chevaux reçoivent une note par rapport à leurs ancêtres :
un cheval peut difficilement devenir « Elite » si ses parents ne le
sont pas. Les gardiens jaloux du stud-book russe laissent ainsi dans l'anonymat
des chevaux de très grande valeur, afin de valoriser les chevaux qu'ils
produisent. Les tests ADN ne permettraient pas de distinguer un Akhal-Téké
inscrit dans le studbook d'un Akhal-Téké qui ne l'est pas. Qui plus est quand
il s'agit d'un cheval dit « demi-sang akhal-téké » qui reçoit cette
dénomination du seul fait qu'un de ses ancêtres est mort juste avant la prise
de sang (c'est le cas d'une très belle jument que je connais qui est demi-sang
avec 15/16e de sang akhal-téké, le 1/16e manquant
étant dû à la mort du cheval au moment de la campagne de génotypage) ! Une
telle rigueur tourne à l'absurde et révèle une vision à court-terme, qui
affaiblit la race dans l'avenir en appauvrissant son patrimoine génétique pour
garantir des prix exorbitants parce que ce qui est rare est cher ! Se refuser d'intégrer au moins les meilleurs de ces chevaux a une
conséquence grave : au lieu de vivifier l'espèce en augmentant les
mélanges d'hérédité, on appauvrit la race par un fort degré de consanguinité.
Alors pourquoi le faire ? On ne peut que regretter le point de vue à court
terme de Tatiana Riabova, actuellement toute puissante pour ces décisions. Par
conséquent, il est de sa responsabilité d'appauvrir une race déjà fragile. De
sa responsabilité mais aussi de celle du gouvernement turkmène qui ne semble
pas décidé à se donner les moyens de changer les choses. A moins que la
nouvelle présidence ne donne un nouvel élan ? Quant aux Akhal-Tékés dispersés dans le reste du monde, quels que
soient leurs papiers, il ne seront pas ceux du Turkménistan, il nous appartient
d'en faire ce que nous voulons qu'ils soient. Pour ma part, j'aimerais surtout
leur conserver leur exceptionnel caractère, cette douceur intelligente au fond
du regard, cette fierté qui semble dire : « je veux bien t'emporter
sur mon dos, si tu me traites en ami, sinon, éloigne-toi ! » et faire
du chemin avec eux.
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